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Table des matières

Un peu de toponymie lupine

Quelques mots autour des noms de lieux dits rappelant le loup en Sologne et en Beauce .

On commence par Emile Zola :

« On entamait les histoires sans fin sur les loups, les loups voraces, qui, pendant des siècles, ont dévasté la Beauce. Anciennement, lorsque la Beauce, aujourd’hui nue et pelée, gardait de ses forêts premières quelques bouquets d’arbres, des bandes innombrables de loups, poussées par la faim, sortaient l’hiver pour se jeter sur les troupeaux. Des femmes, des enfants étaient dévorés. Et les vieux du pays se rappelaient que, pendant les grandes neiges, les loups venaient dans les villes : à Cloyes, on les entendait hurler sur la place Saint-Georges ; à Rognes, ils soufflaient sous les portes mal closes des étables et des bergeries. Puis, les mêmes anecdotes se succédaient : le meunier, surpris par cinq grands loups, qui les mit en fuite en enflammant une allumette ; la petite fille qu’une louve accompagna au galop pendant deux lieues, et qui fut mangée seulement à sa porte, lorsqu’elle tomba ; d’autres, d’autres encore, des légendes de loups-garous, d’hommes changés en bêtes, sautant sur les épaules des passants attardés, les forçant à courir, jusqu’à la mort ». (Emile Zola. La terre. 1887)

Toponymie beauceronne

Les noms de lieux-dits évoquant le loup vont nous fournir de premières indications sur les traces laissées par l’animal dans nos campagnes. Le loup était autrefois répandu dans toute la France. Les noms de lieux-dits évoquant le loup le sont aussi. Si la signification de certains toponymes va parfois se révéler difficile à appréhender, d’autres vont être des indicateurs relativement fiables. Dans cette dernière catégorie, on doit pouvoir placer sans hésiter les noms de lieux évoquant les mille et une manière de tuer les loups. Pendant quelques centaines d’années, l’homme s’est obstiné dans ses tentatives de destruction du fauve et cette chasse aux loups quasi permanente aura clairement marqué les esprits de nos aïeux.

On peut donc raisonnablement avancer que les lieux dits du type « la fosse au loup » (pièges destinés à capturer le loup), ou les diverses appellations rappelant que l’on pendait les cadavres des loups tués aux branches des arbres, comme le « loup pendu » le « chêne au loup » et leurs variantes, figurent parmi les toponymes les plus parlants.

« Hucheloup » pourrait par exemple désigner un endroit où l’on avait l’habitude de « hucher » le loup, terme ancien faisant autrefois partie du vocabulaire de la chasse et qui évoque les cris que l’on poussait lors des « huées aux loups » (les battues). On peut adjoindre à cette série de vocables d’inspiration cynégétique des noms qui désignent des lieux très probablement fréquentés par les loups, où l’on avait l’habitude de les voir, comme les « bois au loup », le « champ au loup » la « ruelle au loup » le « clos au loup », le « pré aux loups » le « nid au loup » etc..

D’autres noms de lieux vont avoir un rapport avec le physique de l’animal comme la « queue de loup », la « patte de loup ». Ou avec ses mœurs, comme, peut-être, la « gratture au loup » (en forêt de Dreux) ou « Gratteloup » qui évoquent a priori l’endroit où le loup gratte le sol, quand il veut délimiter son territoire ..

Par contre « Pisseloup », n’aurait rien à voir, selon certains toponymistes, avec le marquage olfactif du territoire par l’urine que pratiquent diverses espèces animales. Pisseloup désignerait plutôt des petits ruisseaux, des sources, et n’aurait pas de rapport avec notre canidé. Il en est de même des « sauts de loups » qui ne sont pas des endroits où sautent les loups, mais des sortes de fossés de protection placés dans une allée, un parc, aux abords d’un château etc..

Quant à « Chanteloup », rien à voir non plus avec le hurlement du loup : ce toponyme très fréquent aurait plutôt un rapport avec le chant de l’alouette, « Chanteloup » venant de la déformation de « Chantaloue ».

Plusieurs chercheurs beaucerons se sont déjà penchés sur la toponymie « lupine ». C’est le cas de l’archiviste d’Eure et Loir Lucien Merlet, du folkloriste Charles Marcel Robillard ou de l’historien André Prudhomme, qui avait comptabilisé 59 toponymes « loup » pour le seul arrondissement de Vendôme.

Ou encore de Mme Paulette Couturier qui, dans une publication de la Société Archéologique d’Eure et Loir, avance notamment pour la « ruelle aux loups » de Chartres une explication fort séduisante. Cette ruelle aux loups était en effet située près d’une voierie, entre le hameau de St Chéron et la Croix Thibault, où l’on déposait des débris d’abattoirs, et que l’on appelait l’écorchoir de St Chéron. Elle suggère que les loups des environs qui fréquentaient le Bois Paris ou Oisème étaient attirés par ces dépôts de charognes, d’où le nom donné à une voie proche du lieu : la ruelle aux loups, qui donnait dans le faubourg Guillaume.. et où, peut-être, les loups venaient s’aventurer.. En tout cas, la présence de loups, ou de chiens, près de tels lieux, a été souvent constatée dans d’autres régions, en forêt d’Orléans, en forêt de Marchénoir, en Bourgogne etc..

Pour le folkloriste Eugène Rolland , « Sauveloup » désignait probablement un « endroit inaccessible qui est le refuge du loup ».

L’archiviste d’Eure et Loir Lucien Merlet cite également quelques noms de lieux en latin comme « Pende lupum », « Passelupum », (1180), « Passelu » (1210) , « Cantus lupus » (1081), « Malus lupus » (1240) ou encore « Villa lupi » (la Loupe) en 1341 .

A noter que pour évoquer l’empreinte du loup en Beauce, Lucien Merlet, lui, va bien au delà d’une simple énumération de noms de lieux dits puisqu’il écrit que le nom « Beauce » lui même serait directement lié à la présence du loup :

« Si l’on en croit certains étymologistes, les loups ont été jadis si nombreux dans la Beauce qu’elle en aurait tiré son nom, Belsia, par transposition de Blesia, de l’armoricain bleiz ou du gaégaelique Blézian qui signifie loup. On peut ajouter que, au dire des antiquaires, la Beauce était autrefois couverte de bois ».

A la queue leu leu…

Bourdeloup , La Fourche aux loups, Climat de la Fosse-louve, Criloup (Cresloup), La Fosse au loup , la caverne du loup, La Trappe aux loups , Crouloup , Pend loup , Le Loup pendu , Le Chêne au loup , L’Orme au loup , Chiloup , La Queue du loup, La Patte de loup, Le Cœur de loup, Le Champ au loup, Le Clos au loup, Louvy, Les Loups, Louvet, La Loupe, Le Courtil au loup, La Croupe au loup, La Louvellerie, La Louvetière, , La Maison du loup, Le Nid au loup, La Gratture au loup, La Pièce au loup, La Pierre des loups, Le Pont au loup, Le Pré aux loups, La Rue au loup, Pinceloup, La Ruelle aux loups, La Rouère aux loups , La Sente aux loups., Anteloup , Le Bois de la butte aux loups, Chanteloup, Crisloup, La Pierre aux loups , Gratteloup, Bois de Gratteloup, Grand Gratteloup, Petit Gratteloup, Griloup, Guetteloup, Hucheloup, La Butte aux loup, La Fontaine louveresse, La Fosse louvière, Ville louvette, Passeloup, La Louvatière, La Gorge aux loups, La Louverie, La Louvière, La Fontaine louvesse, La Mare aux loups, La Roche aux loups, La Route du loup, La Ruelle aux loups, La Vallée de Gâteloup, La Vesse au loup, Le bois de Pinceloup, Le bois de Pisseloup, Le Bois des loups pendus, Le Val des loups, Le Chêne au loup, Le Louvet, Les Louvettes, Louveau, Louville la chenard, Mauloup, Pinceloup, le grand Chanteloup, le petit Chanteloup, le Nid du loup, le Saut du loup, les Berceloups, Sauveloup, La Vallée de baigne-loup, Villeloup, Le Cour aux loups, La Fondrière aux loups, Outeloup, Busloup, Loupille, la Voye au loup, la Garenne au loup, le Larry aux loups, le chemin de la Poste aux loups, la Table aux loups, le Poirier aux loups, le Crot aux loups, la Gueule du loup, Croulouloup, etc

Lieux-dits lupins solognots

De très nombreux toponymes évoquent aussi la présence du loup dans d’autres parties de la région, en forêt d’Orléans, en Berry, dans le Gâtinais, en Sologne…

Dans un article du bulletin du Cercle Généalogique du Loir et Cher, Linda Vée en a comptabilisé pas moins de 27 dans le seul arrondissement de Romorantin et 40 dans celui de Blois. A Romorantin, signale-t-elle, les lieux mentionnés dans le très ancien « Cartulaire du Lieu Notre Dame » (antérieur à 1273) témoignent également de la présence de cet animal [1]. André Prudhomme [2] en a également comptabilisé beaucoup : il relève 66 vocables différents pour l’ensemble du département..

Les plus évocateurs – ou du moins les plus simples à expliquer – rappellent a priori les lieux fréquentés par le loup : Gratteloup (La Ville aux Clercs, Sandillon), le Bois au loup (forêt de Choussy), la Taille au loup (Viglain) la Remise aux loups (canton forestier près d’Aubigny), les endroits où on le piégeait : la Fosse aux loups (Souesmes, Brinon, La Motte Beuvron, St Hilaire st Mesmin..), ceux où on le chassait : la Mort aux loups (Souesmes) Chasseloup (Villemurlin St Aignan le Jaillard ) ou ceux où on exposait le cadavre du loup une fois celui-ci tué : le Loup Pendu (Saint Pryvé Saint Mesmin, Tour en Sologne) l’Orme aux loups (Cléry St André, Ménétréol sous Sancerre) et le Chêne au loup (Marcilly en Villette, Sully sur Loire, Chissay en Touraine).

Selon Paul Sébillot « on pendait le loup tué aux branches d’un arbre proche de la forêt d’où le grand nombre de toponymes rappelant ce rite [3] ». Cette habitude de pendre aux arbres les dépouilles de loups tués se rencontre d’ailleurs un peu partout en France et le loup pendu, l’orme au loup, le chêne au loup et leurs variantes figurent sans doute parmi les toponymes suggérant la présence passée des loups les plus fiables : Yannick Ribrioux retient en tout cas cette explication pour le Chêne du loup de Mareuil : « on pouvait sans doute le rencontrer dans les bois qui couvraient les coteaux de Mareuil, comme en témoigne le lieu-dit du « Chêne du loup », appelé ainsi car on devait probablement y pendre les loups capturés vivants [4] » .

Dans un registre voisin, mais tout aussi macabre, les loups fréquentaient les « justices », nous dit le naturaliste Oberthur [5], c’est-à-dire les lieux où s’appliquait la justice seigneuriale et où l’on pendait les coupables. Observation intéressante de ce fin observateur de la faune car ces lieux de potence du moyen-âge, où on laissait pourrir les cadavres des condamnés après leur exécution, ne pouvaient effectivement qu’attirer les loups, les chiens ou d’autres animaux nécrophages.

Certains toponymes semblent simplement se référer aux caractéristiques physiques du loup ou à des parties de son anatomie : citons La Queue de loup (Romorantin) Les Blancs loups (Clémont) Le Grand leu (St Viâtre) La Patte de loup (Chaumont sur Tharonne, Pontlevoy) le Carroi de Mareloup ou Marlou (Sancerrois) etc..

Il serait tentant de donner à « Pisseloup » (Sully sur Loire, Clémont ) une explication en rapport avec l’habitude qu’ont certains animaux de marquer leur présence en urinant à des endroits situés en périphérie de leurs territoires. Mais, comme on l’a vu plus haut, cette signification n’est sans doute pas bonne : pour le toponymiste Auguste Longnon [6], les lieux nommés Pisseloup désignent simplement de minces filets d’eau « comparables à des pissées de loups » . Même explication de Jacques Soyer [7] : «Pisseloup est un vocable ironique qui désignait un ruisseau ou une source sale dont l’eau avait la couleur de la pisse du loup ».

Quant aux « culs de loup », bien connus en Sologne, ils n’ont rien à voir avec l’animal qui nous intéresse : c’étaient des cabanes de branchages en forme de cône utilisées dans les coupes de bois par les charbonniers comme abri, voire comme habitation. Couvertes de terre, un trou était aménagé au sommet pour laisser passer la fumée. Pourquoi ce nom ? Peut-être à cause de la noirceur de l’endroit, le « cul de loup » ou loge du charbonnier étant enfumé en permanence !

Le cul de loup

Là-bas, là-bas, sus l’flanc du coteau,
Dans les taillis d’la forêt d’Boulogne,
D’où c’est qu’on vouét ben loin en Sologne,
Vous voyez-t-i feumer mon fourneau ?
C’est là qu’j’avons fait mon domicile
Un ptit cul-d’loup où qu’on est tranquille
Et ben pus lib’ que dan un châtiau.[8]

Egalement sans rapport avec l’animal on pourrait aussi mentionner les « sauts de loups », sortes de fossés creusés en bordure d’une propriété ou de l’entrée d’un château pour empêcher le passage sans masquer la vue .

Dans les environs de Clémont d’autres fossés, plus utilitaires, localement nommés les « ronds d’eau », étaient des sortes de refuges à bestiaux dans lesquels on rentrait le bétail le soir, « pour le protéger contre la dent des loups, ou contre la convoitise des bandes armées [9] » .

La fosse aux loups est un piège très ancien dont on retrouve mention depuis l’antiquité. André Prudhomme [10] cite pour le seul Loir et Cher cinq lieux-dits rappelant ces lieux de piégeage . C’est un trou assez profond, aux bords abrupts ou creusé en forme de cône afin que le loup ne puisse remonter, et « recouvert de roseaux ou de petites branches de noisetier sur lesquels on étend de la mousse ou des feuilles sèches ». Cette description est due à un connaisseur, Paul Mégnin [11], qui ajoute dans « La chasse du loup » édité en 1892 : « La fosse à loup fut l’un des pièges les plus utilisés et l’est encore ».

Un autre chasseur, M. de Mersan [12], recommande, quant à lui, la prudence en ce qui concerne l’utilisation du procédé : « Un tel piège doit être visité très régulièrement chaque matin moins pour prendre les loups qui y seraient tombés que pour porter secours à de malheureux voyageurs qu’un destin fatal y aurait précipités ». On attire les loups aux abords de la fosse à loups « avec des traînées faites alentour avec le cadavre à moitié corrompu d’un chat ou d’un autre petit animal ». Les recommandations quant aux précautions à prendre pour utiliser les fosses à loups reviennent régulièrement dans les écrits cynégétiques.

Jacques Lacombe [13], dans son « Dictionnaire de toutes les espèces de chasses »met les amateurs en garde : « Pour attirer les loups dans ce précipice, on met au fond de la fosse du carnage, ou bien on attache une oie ou agneau ou quelque autre appât. Cette façon de les prendre est très bonne mais il peut en résulter beaucoup d’inconvénients. On a vu des chasseurs tomber dans ces trous et l’on y trouve quelquefois des chevaux, des chiens, des bœufs, des vaches ou quelqu’autre animal » . Précision utile : « II ne faut pas que le trou soit fait dans un endroit humide parce qu’il se remplirait d’eau et que le loup qui nage très bien, s’en sauverait ».

Enfin, voici, à la queue leu leu, quelques autres toponymes « lupins » rencontrés en Sologne et aux environs sans les rechercher spécialement. Une quête systématique en livrerait certainement beaucoup d’autres !

Ardeloups (Theillay), Bourdaloup (Souesmes), Le bois de queue de loup (Romorantin) Les Bourdeloups (Theillay), Branloup (La Ferté st Cyr), La Cave aux loups (Chailles), Corcheloup (Châtres sur Cher) , La butte de la Fourche-au-loup (Saint Laurent Nouan) , La Fontaine aux loups (Aubigny) , La Maison aux loups (Olivet), Le Gué aux loups (Ouchamps) Marcheloup (La Ferté st Aubin), La Noue aux loups (Theillay) La Plante au loup (Chambord), Pointiloup (Marcilly en Gault), Le Pont du Gué aux loups (Monthou sur Bièvre), Pont de loup (Romorantin), Le Pot au loup (Romorantin), Le Tertre aux loups (Vouzeron) , Villeloup (Loreux), Pas de loup, Sente aux loups (Henrichemont), Poinloup (Marcilly en Gault) ..

[1] Linda Vée. Le loup, fléau de nos ancêtres. Bulletin du Cercle généalogique du Loir et Cher no 26, deuxième trimestre 2001.
[2] André Prudhomme. Autrefois les loups en Loir et Cher. Mer. 1993.
[3] Paul Sébillot Le Folklore de la France. Maisonneuve, Paris 1907.
[4] Yannick Ribrioux http://histoiremareuil41.free.fr/archeologie_fichiers/loup.htm
[5] Oberthur, Grand fauves et autres carnassiers. Paris. Durel. 1947.
[6] Auguste Longnon. Les noms de lieux de la France, Paris. 1920.
[7] Jacques Soyer, Les noms de lieux du département du Loiret, réédité par Horwart, Roanne, 1979.
[8] Paul Besnard. Au Pays de Sologne : poésies et nouvelles du terroir. Paris. 1905.
[9] A. Duplaix. Mémorial de la commune et paroisse de Clémont. Bulletin de la Société académique du Centre : archéologie, littérature, science, histoire et beaux-arts. Paris, Chateauroux, 1904.
[10] André Prudhomme. A propos de loups. Série d’articles dans la République du centre, juillet 1981.
[11] Paul Mégnin. La chasse du Loup. La Nature. 1892.
[12] M. de Mersan. Manuel du chasseur. Paris. Roret.1825.
[13] Jacques Lacombe. Dictionnaire de toutes les espèces de chasse. Agasse, imprimeur libraire, Paris, 1794-95.

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Rue du Loup Pendu

Extraits de « Le loup, autrefois, en Beauce » et de « Le loup, autrefois, en Sologne » de Jacques Baillon
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur

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